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À sa demande, Paul Wilton rencontra Donald Penny à l’hôpital. Il écouta sa version de l’incident et fit une multitude d’appels téléphoniques au gouvernement canadien et à la Gendarmerie royale pour se plaindre de la disparition de Terra Wilder et de son épouse. Partout, il rencontra de l’hésitation. Finalement, un représentant de la police fédérale lui expliqua que Terra était un citoyen Hollandais, même s’il avait vécu en Angleterre, aux États-Unis et en Colombie-Britannique : personne au Canada ne pouvait intervenir. Mais pour Amy, le gouvernement acceptait de communiquer avec les autorités américaines.
Wilton raconta alors au docteur Penny qu’il avait trouvé un curieux message dans le courrier électronique de Terra Wilder en inspectant sa maison. Puisqu’il était son meilleur ami à Little Rock, il lui demanda de l’accompagner chez Terra afin de lui dire ce qu’il en pensait. Le médecin accepta, car il voulait à tout prix aider le Hollandais. Une heure plus tard, il était assis devant l’ordinateur de Terra, l’inspecteur à ses côtés.
CHEVALIERS DE LA TABLE RONDE, NOTRE ROI A BESOIN DE VOTRE AIDE, IL A ÉTÉ EMPRISONNÉ PAR LE SORCIER DANS LA GRANDE TOUR NOIRE OÙ LE DRAGON LE SURVEILLE ÉTROITEMENT. VOTRE HUMBLE SERVITEUR CRAINT POUR SA VIE, CAR IL NE COLLABORERA PAS AVEC LES FORCES DU MAL. J’AI BESOIN DE VOUS. GALAHAD.
— Terra Wilder vous a-t-il déjà parlé de ce Galahad ? demanda Wilton.
— Non, admit Donald. Il n’aime pas parler de son passé. Me permettez-vous de répondre à ce message ?
Comme il ne savait pas dactylographier, Donald composa le message avec deux doigts. J’AIMERAIS VOUS AIDER, GALAHAD. DITES-MOI CE QUE JE DOIS FAIRE. La réponse de Chris Dawson fut presque instantanée, ce qui étonna beaucoup les deux hommes. POURQUOI UTILISEZ-VOUS L’ORDINATEUR DE MONSEIGNEUR ? ÊTES-VOUS UN MERCENAIRE OU UN CHEVALIER RESPECTUEUX DU CODE ?
Donald se remit à écrire. JE SUIS LE MÉDECIN QUI A TRAITÉ TERRA WILDER EN COLOMBIE-BRITANNIQUE. J’AI TENTÉ EN VAIN DE LE SOULAGER DE L’ATROCE DOULEUR QUE LUI CAUSENT LES ÉTRANGES MÉCANISMES QUI SE TROUVENT DANS SES GENOUX. IL A RÉCEMMENT ÉTÉ ENLEVÉ PAR DES SOLDATS ET JE NE SAIS PAS OÙ IL A ÉTÉ EMMENE. La réponse leur parvint immédiatement.
MONSEIGNEUR EST RETENU CONTRE SON GRÉ AVEC SA BELLE DANS L’ANTRE DU SORCIER ET L’ON CONDUIT SUR LUI DE VILES EXPÉRIENCES DESTINÉES À LUI ENLEVER L’USAGE DE SA VOLONTÉ.
— Comment pouvons-nous être certains que ce Galahad est de notre côté ? s’impatienta le policier.
JE NE SAIS PAS QUI VOUS ÊTES, écrivit Donald. COMMENT PUIS-JE VOUS FAIRE CONFIANCE ? Chris répondit aussitôt. JETEZ UN COUP D’ŒIL À CE FICHIER. FIN DU MESSAGE.
Donald cliqua sur l’icône du document qui venait d’apparaître à l’écran. La courte biographie de Christopher Dawson défila devant leurs yeux, avec sa photographie.
— Il est astrophysicien à la NASA comme Terra, nota Donald. Donc, il y a de fortes chances qu’ils se connaissent effectivement. Mais pourquoi l’appelle-t-il monseigneur ?
— C’est probablement un code qu’ils utilisent pour se protéger, pensa Wilton tout haut.
— Se protéger de quoi ? Je croyais que les gens qui travaillaient pour les agences spatiales jouissaient d’une très grande liberté.
— Pas quand ils possèdent des informations dont le gouvernement a besoin.
— Il faut le sortir de là, inspecteur.
— Je vais donner d’autres coups de fil et voir ce que je peux faire.
C’était suffisant pour Donald, du moins, pour le moment. Si le policier n’arrivait pas à influencer qui que ce soit au Canada ou ailleurs, alors il irait lui-même chercher Terra ou il se joindrait aux chevaliers que Christopher Dawson, alias Galahad, avait appelés aux armes.
* *
*
Au même moment, à Houston, le général Howell rendait visite pour la première fois à son investissement, dans sa chambre d’hôpital. Il avait le don de deviner le caractère des hommes en observant leurs visages. Celui de Terra Wilder était intéressant. « Un homme brillant, mais têtu », devina-t-il. Il n’en tirerait probablement rien en mettant trop de pression sur lui. Les chirurgiens n’étaient pas encore prêts à brancher les puces dans son cerveau. Le temps qui passait représentait des pertes importantes pour le gouvernement, alors il devait mettre ce génie au travail dans les plus brefs délais, même si cela impliquait de négocier avec lui. Terra Wilder détenait le secret d’une nouvelle source d’énergie capable de maintenir une station spatiale en opération pendant des centaines d’années. Le général devait le persuader de poursuivre ses recherches sans délai.
— Nous voulons seulement que vous respectiez le contrat que vous avez signé avec vos employeurs, indiqua-t-il à Terra.
— En installant dans mon corps des dispositifs capables de violer mes pensées ? répliqua l’astrophysicien sur un ton cinglant.
— S’il le faut, mais nous préférerions que vous le fassiez de votre propre volonté. Pensez un peu à votre femme, docteur Wilder.
La menace était claire.
— Que proposez-vous ? grommela Terra, mécontent.
— Nous allons vous installer dans un endroit où vous jouirez d’un peu plus de liberté et où vous aurez accès à un ordinateur très puissant.
— Une autre cage, quoi ?
— Un lieu où vous serez en sécurité. Vos recherches sont très importantes pour nous. Si vous ne les poursuivez pas de votre plein gré, nous nous verrons obligés d’en extraire les données directement de votre cerveau.
Terra était coincé. Le général se tourna vers Amy, qui le fixait avec frayeur. Terra comprit qu’il devait obtempérer aux ordres de l’officier, sinon il s’en prendrait à elle. Un homme dans la trentaine portant l’uniforme d’un capitaine s’approcha du général. Il était accompagné de membres de la police militaire qui poussaient un fauteuil roulant.
— Je suis le capitaine Gary Douglas, se présenta-t-il. On m’a chargé de votre sécurité personnelle pendant votre séjour dans notre villa.
— Pas de fauteuil roulant, les avertit Terra.
— Tu ne peux pas encore marcher, mon chéri, lui rappela Amy.
— Je n’en veux pas !
— Préféreriez-vous une civière ? proposa le capitaine.
— Je vous en prie, laissez-moi faire, s’interposa Amy.
Elle se plaça devant son époux et prit son visage entre ses mains. Elle lui expliqua calmement que c’était la seule façon de l’emmener jusqu’à la voiture. Elle réussit à le rassurer suffisamment pour que les officiers le déposent dans le fauteuil. Amy lui tint la main jusqu’au garage et monta avec lui dans le véhicule militaire.
Ils furent conduits dans une villa entourée d’un mur épais, couronné de barbelés. « Une autre prison », constata Terra, tandis que le véhicule franchissait les grilles de fer forgé. Les officiers l’aidèrent à s’asseoir une fois de plus dans le fauteuil roulant, malgré ses protestations. Terra refusa de prendre la main de son épouse et se débattit. Compatissante, Amy comprenait bien ce qu’il ressentait, mais elle savait aussi qu’ils n’avaient pas le choix.
Ils roulèrent Terra à l’intérieur. Le capitaine Douglas les informa qu’ils n’avaient qu’à décrocher le téléphone s’ils avaient besoin de quoi que ce soit. Il fit ensuite signe aux officiers de sortir et leur emboîta le pas. En refermant la porte, Amy entendit un épouvantable vacarme dans le salon. Elle accourut. Terra se trouvait sur le plancher. Il s’était jeté sur le sol pour sortir du fauteuil roulant. Il tremblotait, effrayé.
— Doucement, susurra-t-elle. Je vais t’aider.
Elle lui entoura la taille, le remit sur ses pieds et réussit à l’asseoir sur le sofa.
— Je sais bien que c’est une autre cellule, mon amour, mais nous sommes pris au piège et, au moins, c’est plus confortable que l’hôpital.
Terra baissa la tête. Le plus difficile à admettre, pour lui, c’était qu’il était détenu par des gens qui s’étaient autrefois dit ses amis.
En quittant les Wilder, le capitaine Douglas alla jeter un coup d’œil dans la maison du jardinier, où un poste d’observation électronique avait été installé. Il promena son regard sur tous les écrans de télévision qui montraient les différentes pièces de la villa, puis s’adressa au jeune homme assis à la console.
— Avertissez-moi quand il commencera à travailler sur l’ordinateur, sergent.
— Oui, monsieur.
Le sergent Ben Keaton était un soldat dévoué et discret. C’est pour cette raison qu’on utilisait fréquemment ses services dans ce genre de projet. Il ne savait pas qui était Terra Wilder ni pourquoi l’armée avait décidé de le séquestrer, mais son devoir était de s’assurer que personne ne puisse se rendre jusqu’à lui. Il s’adossa dans sa chaise et guetta le couple enlacé sur le sofa. Certes, son travail impliquait un certain degré de voyeurisme, mais il s’y était habitué. De toute façon, il n’en avait plus pour bien longtemps.
Dès qu’il se fut calmé, Terra voulut marcher seul sur ses nouvelles jambes. Aucun des arguments d’Amy ne put le persuader de rester tranquille pendant qu’elle allait chercher ce dont il avait besoin. Il voulait voir l’ordinateur que le gouvernement avait mis à sa disposition. Amy l’aida à se lever et à faire ses premiers pas, puis le laissa continuer seul en direction du corridor principal de la maison.
— Comment vont tes jambes ? s’inquiéta-t-elle.
— C’est étrange… On dirait qu’elles ne sont pas à moi et pourtant, ce sont de vraies jambes, pas des prothèses.
Elle le suivit jusqu’à la grande salle au fond du couloir. Les militaires avaient vraiment manqué de considération en installant le bureau de travail aussi loin de leur prisonnier qui avait du mal à marcher. Terra s’arrêta sur le seuil et ouvrit tout grand les yeux en apercevant l’équipement qui trônait devant lui.
— Impressionnant, murmura-t-il.
— Avant que tu me le demandes : non, tu ne peux pas en avoir un comme celui-là à la maison.
Cette plaisanterie lui arracha son premier sourire depuis longtemps, mais guère plus. La présence d’un ordinateur dans son environnement immédiat semblait toujours le métamorphoser en savant sage et sérieux. Il alla s’asseoir devant la machine et l’examina attentivement. Il pressa un bouton et tout le système s’alluma. Il se mit aussitôt à pianoter sur le clavier, puis soupira avec découragement.
— Il n’y a aucune ligne extérieure, constata-t-il.
— Pourquoi ne suis-je pas surprise ? le taquina Amy.
Il continua d’explorer le système et mémorisa tous les programmes de recherche et de simulation qu’il contenait. Puis il trouva son fichier PETROCKET.
— Je l’avais pourtant effacé ! s’étonna-t-il.
Les militaires en avaient sans doute conservé des copies : c’était la seule explication possible. Ils l’avaient donc soumis à de terribles douleurs sans raison valable lorsqu’il avait tenté d’éliminer les résultats de ses recherches à partir de son ordinateur de Little Rock. Il rappela ses formules à l’écran et sombra dans ses pensées en les relisant. Le croyant en sécurité, Amy décida d’aller explorer le reste de la villa.